Hommage de Philippe Heuzé à Jackie Pigeaud
- Titre
- Hommage de Philippe Heuzé à Jackie Pigeaud
- Droits
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Philippe Heuzé
Association des Entretiens de la Garenne Lemot - Date
- 16 novembre 2016
- Description
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« Nous perdons un être d’exception, par ce qu’il était, et par l’œuvre qui existe grâce à lui. Déjà en khâgne, nous savions tous qu’il ferait de grandes choses, sans imaginer la forme originale qu’il trouverait pour elles ...
Je ne peux présenter ici l’apport de sa pensée, ni son écho considérable, mais essayer plutôt de rappeler ce qu’a d’exceptionnel la démarche inventée par sa personnalité intellectuelle hors norme, par ses capacités, sa puissance, son audace et peut-être surtout sa sensibilité.
Mais d’abord priorité à l’intelligence, à l’intelligence généreuse. Si la connaissance humaine se subdivise en mille cantons, dont chaque spécialiste est enclin à faire son domaine réservé, la pensée créatrice transgresse les frontières de papier. C’est ce que Jackie a fait entre les temps et les catégories patentées du savoir. Ainsi, philologue au sommet de l’érudition, capable d’étudier de la façon la plus minutieuse et la plus savante trois vers d’un fragment, il saura en philosophe, les éclairer de la connaissance capitale, intime de la pensée des présocratiques, des stoïciens ou d’Epicure. Le passionné de théâtre antique, et d’Euripide en particulier, trouvera dans le rapprochement avec l’immense corpus médical des Anciens le filon qui conduit à la Maladie de l’âme, son premier chef d’œuvre.
Tous ces textes débusqués, scrutés, magnifiés sur la très longue durée sont disposés dans un sens par Jackie, aller vers la poésie et son énigme (L‘art et le vivant). Tout commence avec la poésie grecque, Homère bien sûr, et Hésiode, et Sappho et tous les autres, les poètes latins, surtout le Virgile des Géorgiques, et Horace qu’il aimait tant ; tous les chapitres de l’histoire jusqu’à nos jours consubstantiellement solidaires : « il faut toujours interroger l’Antiquité par les Modernes, et les Modernes par les Anciens. » Voilà la leçon que nous donne cet esprit vraiment supérieur dont toute l’œuvre apporte une réponse capitale aujourd’hui à cette question des Anciens et des Modernes qui est en train de redevenir une querelle.
Citer ces mots en cet instant, c’est rendre un hommage nécessaire à ce qu’a été la vie de Jackie Pigeaud.
La vie et l’œuvre, l’œuvre et l’homme ; cette distinction binaire fournit le plan de beaucoup de biographies. Dans le cas de Jackie, elle n’est pas adaptée. L’activité de chercheur n’occupe pas une partie de son existence tandis que l’autre, autonome, vaquerait aux occupations banales d’un homme de son temps. Pour lui, la pensée, c’est la vie même, et elle prend son essor dans les grands textes autant que dans la contemplation des choses de ce monde.
La barque qui va sur le canal vendéen est celle d’Héraclite (je le cite...) et le plant de légumes dans l’humble jardin pose toutes les questions du vieillard de Tarente, du stoïcisme et de Pythagore, celles de la beauté aussi, qui peut naître de l’ordre mis dans les choses. Cet aspect est capital. Les édifices de cette recherche n’ont rien d’élucubrations abstraites, quand bien même elles sont, comme on dit, très pointues ; elles partent de la vie, du vivant et reviennent à eux. Le mouvement de cette pensée possède un élan qui galvanise, et il faudrait faire l’éloge du langage et du style : vigueur, liberté, bonheur du langage qui transporte alors même qu’il feint d’être négligé : le style, c’est l’homme. »
Philippe Heuzé,
| Paroles prononcées lors de la cérémonie en hommage à Jackie Pigeaud le 16 novembre 2016.|
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Portrait_Jackie_PIGEAUD
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